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Michel SMOLEC : SA VIE, SON ART

 

 

 

 

 

 

 

 

SOMMAIRE

 

 

Dessins et Peintures

 

 

Sculptures

 

 

Intervention à Salernes

 

 

Parcours solitaire d’un artiste

 

 

Présentation

 

Arts et Jalons

 

Syndicat de la Critique Parisienne

 

 

 

 

 

michel.smolec@club-internet.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conférence de Jeanine RIVAIS

Aussi loin qu'elle ait pu remonter dans son histoire, la famille maternelle de Michel Smolec a vécu en Dordogne. Peut-être alors peut-on penser que ses ancêtres ont peint quelques bisons sur les parois des grottes rupestres qui abondent dans la région ? Par contre, sa famille paternelle, jusqu'à l'avant-dernière génération, a eu une vie très mouvementée : ses grands-parents, d'origine polonaise, s'étaient installés  en Russie, aux confins de la Mongolie, car le grand-père participait à la construction du Transsibérien. C'est là que naquit, en 1919, Félix Smolec, (futur père de Michel). Tout le monde connaît l'histoire troublée de la Russie au début du siècle. Engagé dans l'armée des Russes blancs, le grand-père devint de plus en plus conscient du danger. En 1920, il émigra en France avec toute sa famille qui s'implanta, comme beaucoup de Polonais, dans les mines du Nord.

Vint la Deuxième Guerre Mondiale. Appelé pendant quelques mois dans le régiment polonais de France, Félix Smolec fut démobilisé à Bergerac en 1940. Il décida de rester dans la région. Devenu ouvrier agricole, il épousa Irène Coste, veuve avec quatre enfants. De cette union, naîtront deux autres enfants, dont le cadet sera Michel Smolec, né à Boisse (Dordogne), en 1945.

Le couple loua une ferme. Mais un mineur peut-il jamais devenir un paysan ? Dans leur cas, bien que les aînés aient été placés comme domestiques dans différentes familles, la situation devint épineuse. Nouvelle migration vers le Nord. Pour Michel, habitué au soleil et à la vie en plein air, ce déménagement vers la grisaille et les terrils, fut un déracinement. D'autant qu'âgé de 14 ans, il dut, après une année de collège, commencer son apprentissage dans la mine.

Après le service militaire effectué en Algérie, il  revint dans le Nord et y vécut quelques années, entama une vie matrimoniale et paternelle ; quitta définitivement le Nord en 1971 ; exerça en Alsace les métiers de carrier puis d'électricien. Veuf en 1985, il s'installa en banlieue parisienne, devint jusqu'à ce jour, chef électricien dans diverses sociétés du bâtiment.

 En 1992, nous faisons connaissance. Et, vu la force de notre relation depuis lors, se pose, pour moi comme pour quiconque, le délicat problème de parler en toute objectivité de quelqu'un qui vous est très proche. Et d'abord, comment parler de lui sans parler de soi ? Saurons-nous évaluer équitablement ses défauts ? En dirons-nous au contraire trop de bien ? Nous perdrons-nous en conjectures sur ce que fut sa vie "avant" ? Sans doute fut-il heureux, malheureux... "sans nous" ? Mais cette globalité fut-elle finalement négative ? positive ? Là est l'important ! Car, de la réponse, de son obsession du souvenir ou de sa volonté d'oubli, dépendra peut-être la place qu'il sera capable de prendre ou de donner dans une nouvelle relation ! Pour Michel Smolec, le bilan était assurément négatif, puisque l'une de ses premières réflexions, quand nous avons entamé la vie commune, fut : "Il a fallu que j'atteigne 50 ans pour être enfin heureux" !

Ne croyez surtout pas que je développe ces détails et ceux qui vont suivre, somme toute assez intimes, par simple indiscrétion : Après tout, les démêlés de Baudelaire avec son beau-père le général, n'étaient pas essentiels pour le monde, tant qu'il n'était pas célèbre ! Dans le cas qui nous occupe, il  s'agit d'expliquer l'évolution de la mentalité de Michel Smolec, et son avancée vers le monde de la création.

Lorsque nous nous sommes rencontrés, rien ne semblait nous destiner l'un à l'autre : il avait donc vécu un deuil conjugal ; j'avais récemment divorcé après trente ans de mariage ! J'étais enseignante, et intellectuelle jusqu'au bout des ongles ; il avait vécu dans des milieux ouvriers où l'intellectuel voilà l'ennemi ! Nous étions comme deux chats écorchés ! Moi, vivant depuis quatre ans une vie de célibataire avec des rapports au monde de l'art tout à fait passionnants ; lui, perdu dans un milieu familial et  un monde du travail d'une banalité affligeante, qui lui pesait de plus en plus !

 Pourtant, chacun de nous a su aller vers l'autre ; et huit ans ont passé ! Au cours desquels le personnage complètement introverti, s'est épanoui ; le grand silencieux a commencé à s'exprimer ; sans que jamais se démentent sa discrétion, son amour, sa gentillesse ; son calme qui a su tempérer la "soupe au lait" que j'étais, établir entre nous un équilibre, et en même temps lui donner une confiance dont, projeté dans un milieu social qui n'était pas le sien, il manquait singulièrement. Il a su faire naître la concertation, le partage, l'égalité absolue ; la tolérance aussi, nécessaire de ma part surtout : par exemple, après avoir vainement tenté de lui faire lire des romans et de la poésie parce que j'en étais férue, ai-je commencé à admettre qu'il avait le droit de s'intéresser à d'autres lectures ; qu'il était, malgré sa modestie, un puits de connaissances en histoire, en géographie ;  et surtout, lui qui depuis l'âge de 15 ans subissait la férule patronale, en législation du travail ! Sa façon tranquille et sans ostentation de répondre à mes questions ont forcé mon respect, même si l'étrangeté de ses  lectures me sidère toujours autant !

Un jour, nous avons commencé à aller en week-end dans la maison de campagne que Michel avait achetée quelques années auparavant. Elle n'était pas aménagée. C'est donc "ensemble" que nous avons "conquis" ce lieu ; que nous lui avons donné une âme, une personnalité, "notre cachet" ; dont nous avons couvert les murs devenus cimaises, d'oeuvres achetées /ou plus souvent reçues en gage d'amitié ou de reconnaissance, d'artistes de tous horizons. Ensemble que  nous en avons fait un havre où il fait bon vivre, pour lequel nous quitterons Paris dès que Michel sera à la retraite. Nous avons même découvert dans le sol du jardin, des poteries qui y dormaient depuis au moins deux siècles, des bouteilles de grès et de verre qui y avaient été jetées voilà des décennies. Et Michel, élevé dans le Nord où les colombophiles sont légion, y a installé pigeons et tourterelles.

Il y a près de cinq ans, l'envie nous a pris d'acheter un pré ! Et nous sommes littéralement tombés amoureux d'un grand champ, en pleine campagne, situé sur une colline, à dix minutes en voiture de chez nous. Triangulaire, avec des acacias qui, en 35 ans d'abandon, y ont poussé de façon anarchique, et quelques arbres fruitiers voûtés comme des petits vieux à cause du manque de soins, il ressemble, de loin, à une oasis de verdure au milieu des autres champs bruns ou jaunes selon les saisons. Nous voilà donc un jour devenus "propriétaires" de ce lieu que notre amie Raâk, sculpteur (retenez bien son nom, il va jouer un rôle capital dans la vie de Michel), a baptisé notre "champ magique". Nous y trimons comme deux esclaves pour implanter des arbres dans une terre calcaire très ingrate. Il y fait trop froid en hiver, trop chaud en été, l'eau y est inexistante (encore que, d'après une amie sourcière, il y en aurait, sa baguette de coudrier l'affirme !...). Mais, par temps clair, la vue s'étend jusqu'au moins trente kilomètres. Et surtout, le but premier de ce lieu est de devenir, dès qu'il sera clos, un musée en plein air. Il a déjà servi à plusieurs reprises à réaliser des feux pour y cuire des sculptures.

Car, événement essentiel dans notre vie, il y a eu l'entrée de Michel dans le monde de l'art : Dès notre rencontre, il a eu une façon bien à lui de s'intégrer à "ma" passion. Lui si réservé, si pondéré, a plongé avidement dans le milieu des galeries, des musées, comme un boulimique qui se jetterait sur de la nourriture dont il aurait été trop longtemps privé. Depuis, il s'est montré d'une curiosité jamais démentie, même après de dures journées de travail, prêt à sillonner Paris, aller voir des expositions, m'accompagner à des réunions ou des gardiennages de salons et autres manifestations artistiques. Même lorsque j'étais fatiguée, et tentée de pantouflarder chez nous, il m'exhortait, il m'exhorte toujours d'ailleurs, à sortir ; foncer en banlieue ; traverser le temps d'un week-end, la France de part et d'autre, à la découverte de créateurs bien souvent anonymes ;  partir en Belgique, en Hollande, aller écouter de la poésie, etc. Il vit, désormais, dans un bain de jouvence artistique. Et, visiblement, il y a trouvé un grand bonheur ! Partout, sa gentillesse, sa présence un peu secrète, son attention pour les autres, ont généré le respect, lui ont conquis des amitiés. Considéré, au début, comme "mon" compagnon, il est devenu un personnage à part entière, où que nous allions !

D'autant que, étape capitale, il a, un jour, grâce à notre amie Raâk, vaincu ses inhibitions, ses complexes d'infériorité... Il a plongé ses mains dans la terre et donné naissance à ces merveilleux petits personnages que vous pouvez voir ici.  Immédiatement, tout ce qui dormait sans doute en lui, s'est libéré dans ces minuscules êtres de glaise ! Depuis, dès qu'il "descend à la cave", jaillissent ses relations difficiles à des problèmes existentiels, ses jalousies, les miennes, ses fantasmes et ses peurs, son humour aussi et son sens de l'observation, sa grande simplicité qui ne supporte pas l'égocentrisme et le dénonce dans la terre ! Là encore, il a créé son rythme, attend que mûrisse un problème en gestation dans sa tête, en parle de temps en temps, comme pour éclaircir ses idées. Et, tant qu'il n'a pas "trouvé" comment l'exprimer, il n'essaie même pas de sculpter ! La sincérité de Michel Smolec est si profonde qu'il ne peut "travailler" que si la pulsion est là, puissante et créatrice ! Mais, si elle est là, il lui est alors impossible de l'ignorer, et le voilà tournant autour de son bloc de terre, riant, rugissant tandis que s'élabore la "scène". Et, malgré ces "prémices", malgré cette sorte de gestation mentale préalable à toute réalisation, chaque création lui est finalement une surprise !

Ainsi, est-il un soir rentré hilare du travail, où il avait passé sa pause de midi à dessiner sur un mur en construction, une Demoiselle du chantier, très stylisée, nue, seins et pubis en évidence, perchée sur de hauts talons ! Son regret, ensuite : ne pouvoir détacher le pan de mur pour récupérer ce témoignage de sa première tentative de revenir en deux dimensions. Il était amusé comme un enfant, en racontant comment ses collègues, revenant de leur repas, et découvrant ce spectacle plutôt inattendu, ouvraient des yeux comme des soucoupes, et estimaient que c'était "du vrai Picasso" !  Cette aventure a été tellement palpitante que le lendemain il a rapporté du chantier un morceau de matériau isolant, et a re-tenté dessus une nouvelle expérience !

Depuis, il dessine souvent le soir. De drôles de dessins jetés sur le papier à grands coups de crayon noir, et tout récemment au crayon de couleurs. On n'y repère au début qu'un personnage dissimulé dans une flore incertaine ; puis progressivement, l'attention se porte ici sur un oeil tapi dans un angle ; un autre, là, au milieu des "buissons". Apparaît un second visage, perpendiculaire au premier, peut-être, voire complètement inversé. Bientôt, plusieurs faces sont décelables, à mesure que tourne la page ; grimaçantes, humoristiques, sombres, inquiètes... jamais méchantes !

 Si importante a été, dans sa vie, l'irruption de la sculpture et du dessin,  que l'on peut affirmer qu'il y a trouvé le langage. Car même si,  dans l'intimité il en était venu à parler librement, il était capable, lors d'un dîner, surtout s'il y avait là des gens qui le snobaient un peu, de rester des soirées entières littéralement sans proférer un mot, devenant rouge brique puis très pâle, si l'une des personnes présentes s'adressait directement à lui. Heureusement, du jour où il s'est rendu compte que sa création avait sidéré tout le monde, il a été capable de répondre, simplement. Bien sûr, il ne sera jamais un grand orateur, ni un m'as-tu-vu ; mais il est bon de l'entendre s'exprimer, rire librement ! Et, dans les quelques expositions auxquelles il a déjà participé, il se sent désormais "chez lui", même si aujourd'hui, devant vous tous qui écrivez de si belles poésies, ou réalisez de si belles oeuvres, il se sent un peu sur le grill ! Mais maintenant que vous savez tant de choses sur sa grande timidité, je ne doute pas que vos questions seront pleines de gentillesse !

En tout cas, vous aurez compris que, pour "voir"ses oeuvres, vous ne devez absolument pas les regarder comme vous regardez les créations d'artistes passés dans le moule des écoles d'art. Entièrement autodidacte, comme vous venez de l'entendre, ses sculptures sont, par leur spontanéité, d'autant plus bouleversantes et provocatrices.

Et à ce stade, vous devez vous demander comment Michel en est venu à sculpter ? Depuis que nous allions de galeries en musées, à la recherche de créations elles aussi originales et souvent bouleversantes, surtout lorsqu'elles appartenaient à la mouvance hors-les-normes, il parlait souvent de son envie de sculpter, sans jamais trouver en lui l'audace peut-être de concrétiser cette envie ! A diverses reprises, j'en avais parlé à Raâk. Chaque fois, elle me disait : "Tu vas voir, moi je vais le faire sculpter...". Quelques mois avaient passé. Un jour où nous l'avions invitée avec son mari, elle avait apporté deux pains de terre. Le mari parti en promenade, moi dans le jardin, Michel et Raâk se sont retrouvés de part et d'autre de cette terre. Sans rien dire, Raâk s'est mise à travailler. Et Michel aussi. Comme vous le voyez, pour simples qu'elles soient, les deux petites oeuvres issues de cette matinée, ne manquent pas de sel. Le week-end suivant, il a continué, tout seul cette fois, et c'est ainsi qu'est née l'oeuvre intitulée Mignoteries qui, déjà, portait en elle toutes les caractéristiques des oeuvres à venir. Ce petit couple est visiblement en train de se lutiner, sans que l'aspect physique des deux protagonistes permette de dire de façon définitive qui est qui : l'un a de longs cheveux, mais c'est lui qui darde son nez-phallus sous celui, retroussé de l'autre, aux narines béantes, comme prêtes à recevoir leur vis-à-vis. Et les cheveux courts, les petits yeux liquides de celle qui, peut-être, est la femme, sont déjà tout pleins de romance.

 Au fil des mois, se sont succédé Le jaloux, dans lequel un personnage dont seul le haut du corps est représenté, visage incliné sur une plantureuse paire de seins, repousse sans ambages un trouble-fête. Puis toute une série que vous ne pourrez voir, en particulier La Mort à la rose : toutes ont succombé à un feu allumé dans un four de papier installé dans notre champ sous la houlette de Raâk. Dans ce genre de four, la température n'est pas supposée s'élever au-dessus de 900°. Mais, allumé avec du bois de cerisier et de châtaignier ultra-sec, qui plus est un jour de vent à écorner les boeufs, le four est monté à une température telle que les ferrailles de soutènement, supposées résister à plus de 1300°, ont toutes été brûlées. Inutile de vous dire que, des oeuvres, ne restaient que des morceaux. Une seule avait résisté, L'Extra-terrestre, uniquement fendue de haut en bas. Seule consolation, les belles couleurs irisées de la chevelure, qui ne se seraient jamais produites à une moindre température.

Optimiste, Michel Smolec a repris ses créations qui, étaient chaque fois aussi pleines d'émotion. D'autant qu'elles se succédaient comme si, désormais, il était incapable de canaliser le flux des traumatismes qui avaient naguère perturbé son existence, et jaillissaient dès lors par le truchement de ses petites oeuvres. Ainsi aborda-t-il un jour le thème de l'I.V.G. dans lequel une femme allongée laissait voir un foetus étranglé par une main d'appartenance anonyme. A propos de ce thème, et pour vous faire bien comprendre à quel point il est impliqué dans sa création, je voudrais évoquer avec vous un incident pour lequel, quatre ans après, je me sens encore très coupable : Un jour, Michel m'appelle et me dit : "Regarde, je viens de terminer cette sculpture, et je veux l'appeler I.V.G. Qu'en penses-tu ?" Sidérée par la violence de cette réalisation, je n'ai pas eu le réflexe d'atténuer ma réaction, être un peu diplomate ; et je lui ai répondu : "Elle est trop brutale. Elle est si réaliste qu'elle ne laisse aucune place au rêve. Je ne peux rien plaquer sur une telle oeuvre. Elle s'impose trop crûment". Avant que j'aie réalisé ce que je venais de dire, la sculpture était redevenue boule de terre, mon pauvre Michel tout triste, moi penaude et furieuse contre moi-même ; comprenant enfin que je venais de le blesser dans sa capacité d'homme qui avait sûrement voulu exprimer un problème profondément ancré en lui ; dans sa capacité d'artiste qui avait le sentiment d'avoir, autour de ce thème, créé une oeuvre qui exprimait ce problème !

Heureusement, le temps a dû adoucir l'effet produit par ma phrase : quelques mois plus tard, il a réalisé une seconde I.V.G. qui, si elle ne peut éradiquer le côté brutal du phénomène, est suffisamment créative pour que le spectateur soit sensible aussi à sa beauté.

Par ailleurs, de problèmes religieux peut-être mal résolus, ou inconsciemment éludés, naissait L'Ange, au visage blanc, protégeant de ses ailes éployées une sorte de sphinx à la face énigmatique, entouré de ses "adorateurs". Vous ne pourrez pas voir ces deux oeuvres sont au Musée d'Art naïf et outsider de Zwolle, en Hollande.

Des motivations parfois moins évidentes, à moins que soit en jeu le changement de milieu social vécu par l'artiste, expliqueraient peut-être les relations "culturelles" qui se sont instaurées entre un brave garçon au crâne ouvert, suppliant de ne pas révéler ses secrets ; tandis que, penchée sur cette béance, une sorte de Madame Freud laisse tomber son crayon en s'exclamant : "Il fait si noir, là-dedans, que ma page restera blanche !" Vous ne verrez pas non plus cette oeuvre qui est à Lagrasse, au Musée Cérès Franco d'Art contemporain.

Désormais, nombre d'événements, marquants ou bénins, jalonnent cette création de terre : un malentendu sur l'heure à laquelle nous devions nous retrouver dans une gare, et ce fut Le rendez-vous manqué, où deux personnages dos à dos tiennent chacun une pendule arrêtée à une heure différente, l'un arborant un air furieux, l'autre faussement contrit, mais incapable d'empêcher ses yeux de pétiller de malice... Ailleurs, un débat où des artistes avaient passé la soirée en congratulations réciproques et, prouvant son talent d'observateur, et attestant qu'il peut avoir la dent dure lorsqu'il se trouve dans une ambiance qu'il juge surfaite, voilà  Rendez-vous d'artistes dans lequel deux personnages, de part et d'autre d'un pot de miel, se gavent réciproquement de cette douceur !

Mais dans l'ensemble, la tendresse est omniprésente dans cette oeuvre : elle l'est dans Je t'attends où une petite drôlesse à l'air émoistillé, en terre rose, susurre par-dessus un mur orange quelque proposition sûrement graveleuse à un autre personnage, mains projetées en avant, souriant de ses énormes dents blanches... Elle l'est dans Caresses où deux mains sont arrondies, presque à la toucher, autour d'une croupe féminine, cambrée comme un rêve. D'ailleurs, ces oeuvres sont à la frontière de la simple tendresse, de la grivoiserie et de l'érotisme. Mais ce dernier est là, sans ambiguïté, dans Fantasmes où les crânes des personnages sont le creuset de passionnantes étreintes perpétrées par de minuscules couples lascifs.

Outre le fait que les oeuvres de Michel Smolec sont presque toujours conçues comme des couples, sont apparues quelques autres constantes : Partagé entre l'urgence qui est là, à demeure et si manifeste qu'elle l'empêche de fignoler, l'oblige à garder très brute la patine de ses personnages, et le désir de donner paradoxalement à ses créations une connotation esthétique, la plupart de ses oeuvres sont désormais polychromes. Cette polychromie est obtenue non à partir de peintures ou d'émaux, comme chez la plupart des sculpteurs ; mais de terres mêlées avec un sens aigu des rapports de couleurs, de l'infime touche qui fait vibrer l'ensemble. Elle peut ne tenir qu'à l'oeil, aux dents, c'est-à-dire se situer au niveau du détail. Mais la plupart du temps, elle est dans les cheveux qui affectent chaque fois un aspect détonant et des couleurs inattendues ! Grâce à ces couleurs, Michel Smolec apporte d'ailleurs souvent à ses sculptures une préciosité assez surprenante, comme ce Dandy à collerette ouvragée et pantalon brodé ; ou ce Sylvain dont la tête terrible avec ses yeux perçants, émerge d'un tronc/corolle à l'écorce rugueuse.

Autre constante, la béance des crânes : aucun des personnages n'en a un qui soit fermé. Comme si le créateur se mettait chaque fois psychologiquement à nu ? Et, comme seuls les cheveux constituent l'arrière de la tête, peut-être ce détail corrobore-t-il ou explique-t-il leur importance évoquée plus haut et reprise ultérieurement ?

Constante aussi, les visages aux grosses lèvres lippues, craquelées et tordues, aux longs nez retroussés. Ces visages sont toujours très expressifs que les yeux soient creux ou fermés, tout petits ou exorbités. Dernièrement, d'ailleurs, ces yeux sont plus réalistes, mais désormais, et Michel ne semble pas en avoir conscience, ils louchent affreusement !

Constante enfin, la "présence" physique des personnages qui, bien que dépourvus de sexes sont devenus au fil des années, nettement masculins ou féminins : certes les femmes ont des seins, très petits d'ailleurs, mais délicatement mamelonnés et érotiquement dardés.

Mais la différence essentielle tient aux cheveux : particulièrement soignés, ils sont chez les hommes hirsutes, savamment embroussaillés,           ou lisses, mais toujours surabondants comme ceux d'un Samson dans lequel l'artiste puiserait sa force. Chez les femmes, ils sont coquettement disposés, lisses ou frisés, étalés en diadèmes, etc.

Pour les autres détails, hommes ou femmes, leurs membres ne sont jamais complets, mais limités à des amorces de bras, et les  jambes sont souvent absentes, remplacées par un ventre surallongé, posé à même le socle. C'est le cas de cette femme surprenante, à la taille fine et aux hanches accusées, et de son partenaire plus petit qu'elle, qui la regarde souriant de ses immenses dents blanches et déclare : Les bras m'en tombent ! La seule, l'une des dernières "nées",  à posséder des membres inférieurs presque complets est cette Vénus callipyge au galbe inénarrable.

Ainsi, près de cinq années ont passé, au cours desquelles s'est élargie une oeuvre de chair au sens quasi-littéral, vu la liberté croissante qu'elle a généré chez cet artiste, auteur d'une création déjà puissante et très personnalisée. Sans doute encore surpris par la révélation de ce monde pictural auquel il apporte maintenant sa marque, Michel Smolec fonce tête baissée. Car demeurent l'urgence de pétrir cette glaise, le besoin d'être narratif, la nécessité de rattacher ses oeuvres à SA réalité... Pourtant, intuitivement, il a commencé à les déconnoter, s'en aller plus loin dans la fantasmagorie et l'imaginaire pur. Sa Vénus en témoigne, qui est seule et ne se rattache apparemment à aucun événement personnel. Néanmoins, comme auparavant, ses petits êtres de chair, continuent d'avoir l'air d'être jetés dans la terre. En somme, Michel Smolec est devenu l'auteur tendre, exacerbé et assurément talentueux, d'oeuvres intenses qu'il est impossible de ne considérer qu'esthétiquement. Comme vous l'aurez maintenant senti, ces petits groupes si proches de l'Art brut sont créés dans une corrélation tellement psychanalytique, qu'ils entraînent le spectateur, j'espère qu'ils vous y ont entraînés, dans des implications beaucoup plus profondes que l'admiration de leur simple apparence !

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